La riposte aux maladies tropicales négligées à la croisée des chemins 

Par Dr Socé Fall, Directeur du département des maladies tropicales négliées à l'OMS (OMS/MTN) 

En cette première Journée mondiale des MTN depuis que j'ai été nommé directeur du Programme mondial de l'OMS pour les maladies tropicales négligées, je ressens à la fois un grand honneur - et une grande humilité - d'être à la tête d'un mouvement et d'une communauté véritablement mondiaux.  

Pour moi, et pour le réseau mondial de partenaires, de scientifiques, de responsables de programme et acteurs de terrain qui travaillent sans relâche pour mettre fin au fléau des maladies tropicales négligées (MTN), l'heure est à la réflexion et à l'action. 

La pandémie de liée à COVID-19 a fait payer un lourd tribut aux programmes de santé dans le monde entier. De nombreuses personnes, dans certaines des communautés les plus pauvres du monde, ont vu leurs liens avec les services de santé endommagés, voire complètement rompus. C'est dans ce contexte que nous devons réfléchir à nos stratégies ainsi qu'aux mesures pratiques que nous devons prendre maintenant pour nous assurer que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre nos objectifs de 2030. 

Effets du climat

La classification des maladies tropicales négligées de l'OMS comprend une vingtaine de maladies et de groupes de maladies disparates. Elles sont dites tropicales parce qu'elles touchent principalement les populations qui habitent les tropiques de notre planète. Le terme négligé, en revanche, fait référence à aux elles-mêmes et à leur traitement historique, même s'il pourrait tout aussi bien être utilisé pour désigner les personnes dont ces maladies ont dévasté la vie. Certaines MTN sont causées par des parasites, d'autres par des bactéries ou des champignons. Elles provoquent toute une série de symptômes dont le handicap, une profonde stigmatisation sociale et parfois la mort. Ces maladies enferment leurs victimes, ainsi que leurs familles, dans des cycles de pauvreté, les privant de la possibilité de mener une vie pleine et productive.

Je salue ici le dévouement et l'engagement de tous ceux dont le travail et la vocation est de réduire le fardeau des MTN pour plus d'un milliard de personnes dans le monde. Leur travail acharné a déjà permis d'obtenir des résultats significatifs, puisque chaque année, de plus en plus de pays éliminent les MTN de leur territoire, et de plus en plus de personnes reçoivent les traitements dont elles ont besoin. 

Nous nous trouvons toutefois à un moment critique. La pandémie liée à la COVID-19 a fait des ravages dans les systèmes de santé du monde entier et a particulièrement mis à mal des systèmes déjà fragiles. Le changement climatique a et continuera d'avoir des effets désastreux sur la santé publique en rendant la répartition et la transmission des maladies de plus en plus imprévisibles. 

Le tableau devient inquiétant si on ajoute les déplacements massifs de populations en raison des conflits armés, de l'insécurité alimentaire ou de la crise de l'eau. Ces facteurs risquent de compromettre les efforts de lutte contre les maladies tropicales négligées en exacerbant la charge de morbidité liée à ces maladies et en mettant en danger les populations actuellement non touchées. L'OMS reconnaît désormais le changement climatique comme " la plus grande menace sanitaire à laquelle l'humanité est confrontée ".

Leadership des jeunes

Ma prédécesseure au poste de directeur du département des MTN à l'OMS, la regrettée Dr Mwelecele Ntuli Malecela, a dirigé une consultation mondiale qui a abouti à la publication d'une feuille de route pour les MTN au cours de la prochaine décennie. Ce document phare, intitulé " Lutter contre les maladies tropicales négligées pour atteindre les objectifs de développement durable : feuille de route pour les maladies tropicales négligées 2021-2030", a été approuvé par la 73e Assemblée mondiale de la santé en 2020 et a défini des objectifs ambitieux et réalisables pour les 20 maladies tropicales négligées. Il a également défini un certain nombre de piliers stratégiques clés pour la lutte contre les MTN. 

L'insistance sur des programmes qui respectent le principe du " bas vers le haut " plutôt que du " haut vers le bas ", sur des initiatives qui favorisent l'appropriation par les pays des principales interventions sanitaires plutôt que leur imposition par des organismes extérieurs, et sur des initiatives transversales - autrement dit la collaboration entre les disciplines - a jeté les bases du travail que nous avons maintenant devant nous.

La participation des jeunes, dans toutes les activités liées aux MTN, sera également essentielle si nous voulons apporter des changements positifs et exploiter l'énergie, la motivation fondée sur des valeurs et les liens sociaux, afin de diffuser des informations, de générer des solutions innovantes et de modifier les comportements et les normes communautaires.

Ces principes sont à la base des piliers de la feuille de route et doivent s'appliquer à l'ensemble des interventions de santé publique mondiale, dans le domaine des MTN et au-delà. 

La récente pandémie a amplement démontré que si nous ne travaillons pas avec nos populations et ne les traitons pas de manière holistique, nous ne pourrons pas dépasser les courbes existantes des maladies tropicales négligées, sans parler des courbes des maladies et des urgences sanitaires à venir. L'intérêt accru manifesté récemment par la communauté sanitaire mondiale pour l'approche " One Health " - le principe consistant à étendre les soins de santé au traitement conjoint des populations humaines et animales ainsi que de l'environnement - est peut-être une conséquence directe de l'origine zoonotique probable de la pandémie de COVID-19, mais les zoonoses sont depuis longtemps un domaine de collaboration intersectorielle, au même titre que les infections d'origine alimentaire, la résistance aux antimicrobiens et les maladies à transmission vectorielle, par exemple. 

C'est dans ce contexte spécifique, dans la convergence d'intérêts sanitaires apparemment divers, que réside mon intérêt particulier. Et à cet égard, les maladies tropicales négligées constituent une véritable étude de cas. Les efforts déployés pour contrôler, éliminer et éradiquer ces maladies donnent des résultats tangibles non seulement pour les millions de personnes affectées, mais aussi des pour d'autres programmes de santé mondiaux qui peuvent capitaliser sur les stratégies déployées. 

Collaboration vitale

L'aspect " négligé " des maladies tropicales négligées vient souvent du fait que les personnes et les communautés qui en souffrent le plus se trouvent souvent au bout du chemin des soins de santé, hors de portée des interventions sanitaires classiques ou de routine.

Néanmoins, les programmes de lutte contre les MTN de par leur nature, arrivent à atteindre ces populations, et leur permettent de, rester en lien avec les systèmes de soins. Ces programmes fournissent des soins de proximité dans les zones rurales, offrant ainsi un niveau de base de soins de santé communautaire.

En ce sens, ils constituent la première étape de l'application pratique de la couverture sanitaire universelle, grâce à laquelle des normes minimales de soins sont accessibles à tous, indépendamment du lieu et du mode de vie. Ces programmes forment et emploient également d'agents de santé qui fournissent, en première ligne, des soins communautaires essentiels au quotidien. Ils sont des rouages essentiels dans la mise en œuvre de nombreuses interventions communautaires. Nous devons exploiter cette précieuse ressource et lui donner le pouvoir d'en faire encore plus. 

La lutte contre les MTN nous offre l'occasion de nous attaquer à des problèmes systémiques de longue date tels que la pauvreté et l'inégalité. Lorsque nous traitons les personnes souffrant de MTN, nous traitons en fait toute une série d'autres symptômes et problèmes. La prévention de nombreuses MTN, par exemple, ne nécessite rien de plus qu'un approvisionnement en eau potable. Si nous associons les interventions en matière de MTN à un travail plus large sur l'eau, l'assainissement et l'hygiène, les effets se feraient sentir dans toute la communauté.  

Renforcer le réseau des acteurs de la lutte contre les MTN nous aidera également à mieux comprendre les effets du changement climatique dans les communautés éloignées et difficiles d'accès. Cela nous permettra d'approfondir notre connaissance des populations susceptibles d'être à risque et de nécessiter de futures interventions de santé publique.

En tant que directeur du département de lutte contre les maladies tropicales négligées à l'OMS, telle est ma mission et j'espère inspirer cette vision à tous ceux qui travaillent sur le terrain. 

J'ai déjà été profondément impressionné par l'engagement et la passion avec lesquelles mes collègues s'appliquent à améliorer la vie des personnes vivant dans les communautés les plus vulnérables. Mon espoir est de pouvoir prendre cette inspiration et de la refléter à travers la communauté des acteurs de lutte contre les MTN, afin d'obtenir des changements durables et significatifs, jusqu'au dernier kilomètre.

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Dr Ibrahima Socé Automne
Janvier 2023